Jour 16 : « Dans mon angoisse »

Vendredi de Carême : comme la semaine dernière, entrons dans un certain silence, un certain dépouillement pour méditer, à l’aide de ce Chemin de Croix, la Mort et la Passion de Jésus.

« Dans mon angoisse, j’appelai le Seigneur ;
vers mon Dieu, je lançai un cri ;
de son temple il entend ma voix :
mon cri parvient à ses oreilles. » (Ps 17)

1ère station : Jésus est condamné à mort

De l’Évangile selon Marc
Tous prononcèrent qu’il méritait la mort. Puis quelques-uns se mirent à lui cracher dessus et à le gifler en disant : « Fais le prophète ». Et les valets le bourrèrent de coups (14, 64-65).

Méditation

Il n’a pas fallu beaucoup de délibération aux hommes du Sanhédrin pour se prononcer. Depuis longtemps déjà, la cause était entendue. Il faut que Jésus meure !
Ainsi pensaient déjà ceux qui voulaient le précipiter depuis l’escarpement de la colline, le jour où, dans la synagogue de Nazareth, Jésus avait déplié le rouleau en proclamant lui-même les mots du livre d’Isaïe : « L’Esprit de Dieu repose sur moi, l’Esprit de Dieu m’a consacré… pour annoncer une année de grâce de la part du Seigneur » (Lc 4, 18-19).
Mais il nous faut avoir la mémoire plus longue encore. Dès Bethléem, aux jours de sa naissance, Hérode avait décrété qu’il devait mourir. L’épée des sbires du roi usurpateur massacra les petits enfants de Bethléem. Jésus échappa alors à leur furie. Mais pour un temps seulement. Il n’était déjà plus qu’une vie en sursis. Dans les pleurs de Rachel sur ses enfants qui ne sont plus, résonne, en sanglots, la prophétie de la douleur que Syméon annoncera à Marie : « Voici que cet enfant provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de contradiction – et toi, ton âme sera traversée d’un glaive – : ainsi seront dévoilées les pensées qui viennent du cœur d’un grand nombre. »

Prière

Seigneur Jésus, toi le Fils bien-aimé, qui est venu nous visiter, passant parmi nous en faisant le bien, rendant à la vie ceux qui habitent l’ombre de la mort, tu sais nos cœurs tortueux.
Nous déclarons être amis du bien et vouloir la vie. Mais nous sommes pécheurs et complices de la mort.
Nous nous proclamons tes disciples, mais nous prenons des chemins qui se perdent loin de tes pensées, loin de ta justice et de ta miséricorde. Ne nous abandonne pas à nos violences.
Délivre-nous du mal !

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

2e station : Jésus est renié par Pierre

De l’Évangile selon Luc
Environ une heure plus tard, un autre insistait : « C’est sûr, disait-il celui-là était avec lui ; et puis, il est Galiléen ». Pierre répondit : « Je ne sais pas ce que tu veux dire ». Et aussitôt, comme il parlait encore, un coq chanta. Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre ; et Pierre se rappela la parole du Seigneur qui lui avait dit : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois ». Il sortit et pleura amèrement (22, 59-62).

Méditation

Autour d’un brasero, dans la cour du Sanhédrin, Pierre et quelques autres se réchauffent en ces heures froides de la nuit que traversent des allées et venues fiévreuses. À l’intérieur, le sort de Jésus va se jouer, dans le face à face avec ses accusateurs. C’est sa mort qu’ils vont exiger.
Comme une marée qui monte, l’hostilité enfle à l’entour. Bientôt une foule, vociférant, exigera de Pilate la grâce pour Barrabas et la condamnation de Jésus.
Difficile de se déclarer ami d’un condamné à mort sans être traversé d’un frisson d’effroi. La fidélité intrépide de Pierre ne va pas résister aux paroles soupçonneuses de la servante, la portière du lieu.
Quand elle implique ce courage, la vérité a du mal à trouver des témoins… Les hommes sont faits ainsi que beaucoup lui préfèrent alors le mensonge ; et Pierre est de notre humanité. Il trahit, à trois reprises. Puis il croise le regard de Jésus. Et ses larmes coulent, amères et pourtant douces, comme une eau qui lave une souillure.

Prière

Seigneur, notre Dieu, tu as voulu que ce soit Pierre, le disciple renégat et pardonné, qui reçoive la charge de guider ton troupeau.
Inscris dans nos cœurs la confiance et la joie de savoir que, en toi, nous pouvons traverser les ravins de la peur et de l’infidélité.
Fais que, instruits par Pierre, tous tes disciples soient les témoins du regard que tu portes sur nos défaillances. Que jamais, nos duretés ou nos désespoirs ne rendent vaine la Résurrection de ton Fils !

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

3e Station : Jésus et Pilate

De l’Évangile selon Matthieu
Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme ; à vous de voir ! » (Mt 27, 24)

Méditation

Pourtant, le même Pilate qui déclare ne trouver aucun mal en Jésus est celui qui ratifie sa condamnation à mort. Dans le prétoire où Jésus est en procès, la vérité éclate : la justice des païens n’est pas supérieure à celle du Sanhédrin des Juifs !
Décidément ce Juste, qui concentre étrangement sur lui les pensées homicides du cœur humain, réconcilie Juifs et païens. Mais c’est, pour l’instant, en les faisant également complices du meurtre de lui-même. Pourtant le temps vient – il est tout proche – où ce Juste les réconciliera autrement, par la Croix et par un pardon qui les rejoindra tous, Juifs et païens, les guérira ensemble de leurs lâchetés et les libérera de leur commune violence.
Une seule condition pour avoir part à ce don : ce sera de confesser l’innocence du seul Innocent, l’Agneau de Dieu immolé pour le péché du monde. Ce sera de renoncer à la suffisance qui murmure en nous : « Je suis innocent du sang de cet homme ». Ce sera de plaider coupable, dans la confiance qu’un amour infini nous enveloppe tous.

Prière

Seigneur, notre Dieu, face à Jésus livré et condamné, nous ne savons faire autre chose que de nous disculper et d’accuser les autres. Si longtemps, nous avons ignoré que nous devions nous reconnaître tous complices dans le péché, pour être tous sauvés par le sang de Jésus crucifié.
Donne-nous de reconnaître en ton Fils l’Innocent, le seul de toute notre histoire. Lui qui a accepté d’être « fait péché pour nous » (cf. 2 Co 5,21), afin que par lui tu puisses nous retrouver, humanité recréée dans l’innocence en laquelle tu nous créas, et en laquelle tu nous fais tes fils.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

4e station : Jésus Roi de gloire

De l’Évangile selon Marc
Les soldats l’emmenèrent à l’intérieur du palais. Ils le revêtirent de pourpre, puis, ayant tressé une couronne d’épines, ils la lui mirent sur la tête. Ils se mirent à le saluer : « Salut, roi des Juifs » (15,16-18).

Méditation

Banalité du mal. Ils sont légion les hommes, les femmes, les enfants mêmes, violentés, humiliés, torturés, assassinés, sous tous les cieux, en chaque temps de l’histoire.
Sans chercher protection dans la condition divine qui est la sienne, Jésus prend place dans le terrible cortège des souffrances que l’homme inflige à l’homme. Il sait la déréliction des humiliés et des plus abandonnés.
Mais de quelle aide nous serait la souffrance d’un innocent de plus ?
Celui-là qui est l’un de nous est d’abord le Fils bien-aimé du Père, qui vient accomplir toute justice par son obéissance. Et soudain tous les signes s’inversent. Voilà que les paroles et les gestes de dérision de ses tortionnaires nous découvrent – ô paradoxe absolu – l’insondable vérité : celle de la vraie, de l’unique royauté, révélée comme celle d’un amour qui n’a rien voulu savoir d’autre que la volonté du Père et son désir que tous les hommes soient sauvés. « Tu ne voulais ni sacrifice, ni oblation, alors j’ai dit : “voici je viens. Au rouleau du livre, il m’est prescrit de faire tes volontés” » (Ps 40,7-9).
Nul d’entre nous ne peut prétendre à plus haute dignité que celle d’être fils en Celui qui s’est fait obéissant pour nous jusqu’à la mort de la croix.

Prière

Seigneur, notre Dieu, nous t’en prions, en ce jour saint qui accomplit la révélation :
Renverse en nous les figures mensongères de la réussite et de la gloire.
Renverse en nous les images sans cesse renaissantes d’un Dieu selon nos pensées, d’un Dieu distant, si loin du visage révélé dans l’alliance et qui se découvre aujourd’hui en Jésus, au-delà de toute prévision, en excès de toute espérance.
Fais-nous entrer dans la joie éternelle, qui nous fait acclamer en Jésus revêtu de pourpre et couronné d’épines, le roi de gloire que chante le psaume : « Portes, levez vos frontons, Elevez-vous portes éternelles, qu’il entre le roi de gloire » (Ps 24,9).

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

5e Station : Jésus porte sa croix

Du livre des Lamentations
Vous tous qui passez par le chemin, regardez et voyez s’il est une douleur pareille à la douleur qui me tourmente, dont le Seigneur m’a affligée au jour de sa brûlante colère (Lm 1,12).

Méditation

Sur le rude chemin du Golgotha, Jésus n’a pas porté la croix comme un trophée ! Il ne ressemble en rien aux héros de nos imaginations qui terrassent glorieusement des ennemis maléfiques.
Pas après pas, il a marché, le corps toujours plus pesant et plus lent. Il a éprouvé sa chair entamée par le bois du supplice, les jambes qui défaillent sous la charge.
Génération après génération, l’Église a médité ce chemin jalonné de trébuchements et de chutes.
Jésus tombe, se relève, puis retombe, reprend la marche épuisante, probablement sous les coups des gardes qui l’escortent, puisque c’est ainsi que sont traités, maltraités, les condamnés en notre monde.
Celui qui a relevé les corps grabataires, redressé la femme courbée, arraché à son lit de mort la petite fille de Jaïre, remis debout tant d’accablés, le voici aujourd’hui effondré sur le sol poussiéreux.
Le Très Haut est à terre.
Fixons le regard sur Jésus. Par lui, le Très Haut nous enseigne qu’il est aussi, ô stupeur, le Très Bas, prêt à descendre jusqu’à nous, toujours plus bas s’il le faut, de sorte qu’aucun ne se perde dans les bas-fonds de sa misère.

Prière

Seigneur, notre Dieu, tu descends au fond de notre nuit, sans mettre de limite à ton humiliation, puisque c’est en elle que tu rejoins la terre souvent ingrate, parfois dévastée, de nos vies.
Donne à ton Église, nous t’en supplions, de témoigner que le Très Haut et le Très Bas sont un seul visage en toi. Donne-lui de porter à tous ceux qui tombent la nouvelle de l’Évangile : aucune chute ne peut nous soustraire à ta miséricorde. Il n’existe aucune perte, aucun abîme qui soient trop profonds pour que tu ne puisses retrouver celui qui s’est égaré.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta sainte croix.

6ème Station : Jésus et Simon de Cyrène

Comme ils l’emmenaient, ils mirent la main sur un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs et le chargèrent de la croix pour la porter derrière Jésus (23,26).

Méditation

Jésus trébuche sur le chemin, le dos écrasé sous le poids de la croix. Mais il faut aller de l’avant, marcher, et encore marcher, car c’est le Golgotha, le sinistre « lieu du Crâne », hors les murs de la ville, qui est le but de l’escadron qui presse Jésus.
Un homme est justement de passage, qui a les bras solides. A l’évidence, il est étranger aux événements du jour. Il rentre chez lui, ignorant tout de l’histoire du rabbi Jésus, quand il est réquisitionné par les gardes pour porter la croix.
L’Évangile a seulement gardé mémoire de son nom, Simon, originaire de Cyrène. L’Évangile a aussi voulu porter jusqu’à nous son pauvre geste de secours, pour nous enseigner qu’en soulageant la peine d’un condamné à mort, Simon a soulagé la peine de Jésus, le Fils de Dieu, qui croisa son chemin dans la condition d’esclave, endossée pour nous, endossée pour lui, pour le salut du monde. Sans qu’il le sache.

Prière

Seigneur, notre Dieu, tu nous as révélé qu’en chaque pauvre qui est nu, qui est prisonnier, qui est assoiffé, c’est toi qui te présente à nous, et c’est toi que nous recevons, visitons, revêtons ou désaltérons :
Mystère de ta rencontre avec notre humanité ! C’est ainsi que tu rejoins tout homme ! Nul n’est privé de cette rencontre, s’il consent à être un homme de compassion.
Nous te présentons, comme une offrande sainte, tous les gestes de bonté, d’accueil, de dévouement, qui sont accomplis chaque jour en notre monde.
Daigne les reconnaître comme la vérité de notre humanité, qui parle plus haut que tous les gestes de rejet ou de haine.
Daigne bénir les hommes et les femmes de compassion, qui te rendent gloire, même s’ils ne savent pas encore prononcer ton nom.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

7ème Station : Jésus et les filles de Jérusalem

De l’Évangile selon Luc
Le peuple, en grande foule, le suivait ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais se retournant vers elles, Jésus dit : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi. Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants… Car si on traite ainsi le bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec » (23,27-28.31).

Méditation

Les pleurs que Jésus confie aux filles de Jérusalem comme une œuvre de compassion ne manquent pas à notre monde.
Non que les larmes reviennent aux femmes, comme si leur lot était d’être pleureuses passives et impuissantes, au milieu d’une histoire que les hommes, seuls, seraient censés écrire.
Car leurs pleurs sont aussi, et d’abord, tous ceux qu’elles recueillent, loin de tout regard et de toute célébration, dans un monde où il y a beaucoup à pleurer. Pleurs des petits enfants terrorisés, des blessés des champs de bataille en appel d’une mère, pleurs solitaires des malades et des mourants au seuil de l’inconnu. Pleurs de désarroi, qui ruissellent sur la face de notre monde qui fut créé, au premier jour, pour des larmes de joie, dans la jubilation de l’homme et de la femme ensemble.
Et même, Etty Hillesum, femme forte d’Israël demeurée debout dans la tourmente de la persécution nazie, qui aura plaidé jusqu’au bout la bonté de la vie, nous souffle à l’oreille ce secret qu’elle devine au terme de sa route : il y a des larmes à consoler sur le visage de Dieu, quand il pleure sur la misère des siens.
Dans l’enfer qui engloutit le monde, elle ose prier Dieu : « Je vais essayer de t’aider », lui dit-elle. Audace si féminine et si divine !

Prière

Seigneur, notre Dieu, Dieu de tendresse et de pitié, Dieu plein d’amour et de fidélité, apprends-nous, dans les jours heureux, à ne pas mépriser les larmes des pauvres qui crient vers toi et qui nous appellent au secours. Apprends-nous à ne pas passer indifférents auprès d’eux. Apprends-nous à oser pleurer avec eux.
Apprends-nous aussi, dans la nuit de nos peines, de nos solitudes et de nos déceptions, à entendre la parole de grâce que tu nous révélas sur la montagne : « Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés » (Mt 5,4). 

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

8ème Station : Jésus est dépouillé de ses vêtements

De l’Évangile selon Jean
Ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et la tunique (Jn 19,23).

Méditation

Le corps humilié de Jésus est dépouillé. Exposé aux regards de dérision et de mépris. Le corps de Jésus labouré de plaies et destiné à l’ultime supplice de la crucifixion. Humainement, qu’y aurait-il à faire d’autre que de baisser les yeux pour ne pas ajouter à son déshonneur ?
Mais l’Esprit vient au secours de notre désarroi. Il nous apprend à entendre la langue de Dieu, langue de l’abaissement de Dieu pour nous rejoindre là où nous sommes.
C’est par cet abaissement qu’il a manifesté son amour pour nous.
Entrant dans ce mystère de grâce, nous pouvons rouvrir les yeux sur le corps supplicié de Jésus. Alors nous commençons à discerner ce que notre œil ne peut voir : sa nudité rayonne de la même lumière que celle dont irradiait son vêtement, lors de la Transfiguration.
Lumière qui fait reculer toute ténèbres.
Lumière irrésistible de l’amour jusqu’au bout.

Prière

Seigneur notre Dieu, nous plaçons sous tes yeux la foule immense des hommes qui subissent la torture, l’affreux cortège des corps maltraités, tremblant d’angoisse à l’approche des coups, agonisant dans des bas-fonds sordides.
Recueille leur plainte, nous t’en supplions.
Le mal nous laisse sans voix et sans secours.
Mais toi tu sais ce que nous ne savons pas. Tu sais trouver un passage dans le chaos et la noirceur du mal. Tu sais faire éclater déjà, dans la Passion de ton Fils bien-aimé, la vie de la résurrection.
Augmente en nous la foi !
Nous te présentons aussi la folie des tortionnaires et de leurs commanditaires.
Elle aussi nous laisse sans voix… Sauf à te prier et à t’implorer dans les larmes avec les mots de la prière que tu nous as enseignée : « Délivre-nous du mal » !

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

9ème Station : Jésus est crucifié

De l’Évangile selon Luc
Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils l’y crucifièrent, ainsi que les malfaiteurs, l’un à droite et l’autre à gauche. Et Jésus disait : « Père pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (23,33-34).

Méditation

Vraiment Dieu est là où il ne devrait pas être !
Le Fils bien-aimé, le Saint de Dieu, est ce corps exhibé sur une croix d’infamie, livré au déshonneur, entre deux malfaiteurs. Homme de douleur dont on se détourne. A vrai dire, comme on se détourne de tant d’êtres humains défigurés que croisent nos chemins.
Oui, Dieu est là où il ne devrait pas être et où, pourtant, nous avons tellement besoin qu’il soit !
Il était venu pour nous partager sa vie. « Prenez ! » n’a-t-il cessé de dire en offrant sa guérison aux infirmes, son pardon aux cœurs égarés, son corps au repas de la Pâque.
Mais il s’est retrouvé entre nos mains, en territoire de mort et de violence. Celle qui nous sidère dans l’actualité du monde. Celle aussi qui rôde en chacun.
Il fallait que la douceur de Dieu visite nos enfers, seul moyen de nous délivrer du mal.
Il fallait que le Christ Jésus importe l’infinie tendresse de Dieu au cœur du péché du monde.
Il fallait cela, afin qu’exposée à la vie de Dieu, la mort recule et s’effondre, comme un ennemi qui a trouvé plus fort que lui et qui disparaît dans le néant.

Prière

Seigneur, notre Dieu, accueille notre louange silencieuse.
Nous sommes dans la stupéfaction devant l’Agneau immolé pour notre vie et celle du monde. Nous confessons que par tes blessures, nous sommes guéris.
« Comment rendrai-je au Seigneur tout le bien qu’il m’a fait ? J’élèverai la coupe du salut […] Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâces, et j’invoquerai le nom du Seigneur » (Ps 116,12.17).

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

10ème Station : Jésus tourné en dérision sur la croix

De l’Évangile selon Luc
Les chefs se moquaient : « Il en a sauvé d’autres, disaient-ils ; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu, l’Élu ! » Les soldats aussi se gaussèrent de lui ; s’approchant pour lui présenter du vinaigre, ils disaient : « Si tu es le roi des juifs, sauve-toi toi-même ! »

Méditation

Jésus n’aurait-il pas pu descendre de la croix ? Nous osons à peine nous formuler cette question. L’Évangile ne la met-il pas dans la bouche des impies ?
Pourtant, elle nous hante. Nous appartenons encore au monde de la tentation que Jésus a affrontée durant les quarante jours au désert, porche et ouverture de son ministère. “ Si tu es Fils de Dieu change ces pierres en pain, […] jette-toi du haut du temple, puisque Dieu veille sur son ami…”. Mais, à la mesure dont, baptisés dans la mort et dans la résurrection du Christ Jésus, nous le suivons sur son chemin, les défis du Malin n’ont plus de prise sur nous, ils sont réduits à néant, leur mensonge est dévoilé.
Alors se découvre l’impérieuse nécessité du « il fallait » (Lc 24,26), que Jésus enseigne patiemment et ardemment aux marcheurs du chemin d’Emmaüs.
« Il fallait… » que le Christ soit dans cette obéissance et cette impuissance, pour nous rejoindre dans l’impuissance, où nous a mis notre désobéissance.
Et nous commençons à concevoir que « seul le Dieu souffrant peut sauver ». 

Prière

Seigneur, notre Dieu, qui nous délivrera des pièges de la puissance selon le monde ? Qui nous libérera de la tyrannie des mensonges, qui nous font exalter les puissants et courir nous-mêmes après les fausses gloires ?
Toi seul peux convertir nos cœurs.
Toi seul peux nous faire aimer les voies de l’humilité.
Toi seul…, qui nous révèles qu’il n’est de victoire que dans l’amour, et que tout le reste n’est que paille que le vent disperse, mirage qui s’évanouit sous ta vérité.
Nous t’en prions, Seigneur, dissipe les mensonges qui veulent régner sur nos cœurs et sur le monde.
Fais-nous vivre selon tes voies, pour que le monde reconnaisse la puissance de la Croix.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

11ème Station : Jésus et sa mère

De l’Évangile selon Jean
Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère, et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie de Magdala. Jésus, voyant sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis, il dit au disciple : « Voici ta mère ». Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui (Jn 19,25-27).

Méditation

Marie, elle aussi, est parvenue au terme du chemin. La voici arrivée à ce jour dont parlait le vieillard Siméon : « Vois !, avait-il déclaré, cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, – et toi-même une épée te transpercera l’âme ! – afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs » (Lc 2,34-35).
Et elle avait consenti à ce projet divin, qui commencerait par bouleverser sa chair, qui accompagnerait ensuite l’enfant né de son sein sur des voies imprévisibles.
Au long des jours si ordinaires de Nazareth, puis au temps de la vie publique, quand il avait fallu faire place à l’autre famille, celle des disciples, ces étrangers dont Jésus se faisait des frères, des sœurs, une mère, elle avait gardé ces choses dans son cœur. Elle les avait remises à la longue patience de sa foi.
Aujourd’hui est le temps de l’accomplissement. Le glaive qui perce le côté du Fils perce aussi son cœur. Marie aussi s’enfonce dans la confiance sans appui, où Jésus vit jusqu’au bout l’obéissance au Père.
Debout, elle ne déserte pas. Elle sait, de nuit, mais de certitude, que Dieu tient promesse. Elle sait, de nuit, mais de certitude, que Jésus est la promesse et son accomplissement.

Prière

Marie, mère de Dieu et femme de notre race, toi qui nous engendres maternellement en celui que tu as engendré, soutiens en nous la foi aux heures de ténèbres, apprends-nous l’espérance contre toute espérance.
Garde toute l’Eglise dans une veille fidèle, comme le fut ta fidélité, humblement docile aux pensées de Dieu, qui nous attirent là où nous ne penserions pas aller, qui nous associent, par-delà toute prévision, à l’œuvre du salut.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

12ème Station : Jésus meurt sur la croix

De l’Évangile selon Jean
Jésus dit : « J’ai soif ». Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de sa bouche. Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : « C’est achevé » et, inclinant la tête, il remit l’esprit. […] Venus à Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté, il sortit aussitôt du sang et de l’eau. Celui qui a vu rend témoignage – son témoignage est véridique, et celui-là sait qu’il dit vrai – pour que vous aussi, vous croyiez (19, 28-30.33-35).

Méditation

Maintenant, tout est achevé. La tâche de Jésus est accomplie. Il était sorti du Père pour la mission de la miséricorde. Celle-ci a été remplie avec une fidélité qui aura été jusqu’au bout de l’amour. Tout est accompli. Jésus remet son esprit entre les mains du Père.
Apparemment, il est vrai, tout semble s’abîmer dans le silence de la mort qui tombe sur le Golgotha et les trois croix dressées. En ce jour de la Passion qui va vers sa fin, pour qui passe par ce chemin y aurait-il autre chose à comprendre que l’échec de Jésus, la ruine d’une espérance qui avait rendu cœur à beaucoup. Tout cela paraissait perdu, ruiné, effondré.
Pourtant, au milieu de tant de déception, voilà que l’évangéliste Jean fixe nos yeux sur un détail minuscule et s’y arrête avec solennité. De l’eau et du sang coulent du côté du Crucifié. Le message est infiniment discret, mais tellement éloquent pour les cœurs qui ont un peu de mémoire. Du corps de Jésus jaillit la source que le prophète a vu sortir du Temple. La source qui grossit et se change en un fleuve puissant, dont les eaux assainissent et font fructifier tout ce qu’elles touchent sur leur passage. Jésus n’avait-il pas désigné un jour son corps comme le temple nouveau ? Et le « sang de l’alliance » accompagne l’eau. Jésus n’avait-il pas parlé de sa chair et de son sang comme nourriture pour la vie éternelle ?

Prière

Seigneur, Jésus, en ces jours saints du mystère pascal renouvelle en nous la joie de notre baptême. Quand nous contemplons l’eau et le sang qui coulent de ton côté, enseigne-nous à reconnaître de quelle source notre vie est engendrée, de quel amour ton Église est édifiée, pour quelle espérance à partager au monde tu nous as élus et tu nous envoies.
« Ici est la source de vie qui lave tout l’univers, jaillissant de la plaie du Christ » : que notre baptême soit notre seule gloire, dans une action de grâces émerveillée.

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

13ème Station : Jésus est descendu de la croix

De l’Évangile selon Luc
[Joseph d’Arimathie] descendit le corps, le roula dans un linceul et le mit dans une tombe taillée dans le roc, où personne encore n’avait été placé (Lc 23,53).

Méditation

Gestes de sollicitude et d’honneur pour le corps profané et humilié de Jésus. Des hommes et les femmes se retrouvent au pied de la croix. Joseph, originaire d’Arimathie, « homme bon et juste » (Lc 23,50), qui réclame le corps à Pilate, rapporte saint Luc, Nicodème, le visiteur du soir, ajoute saint Jean. Et des femmes, obstinément fidèles, regardent.
La méditation de l’Église a aimé leur adjoindre la Vierge Marie si vraisemblablement présente, elle aussi, à cet instant.
Marie, Mère de pitié, qui reçoit dans ses bras le corps né de sa chair et tendrement, discrètement accompagné au long des années, comme une mère demeure dans le souci de son enfant.
Dans le grand silence qui s’est installé après les vociférations de la troupe, les quolibets des passants et les bruits de la crucifixion, les gestes ne sont plus maintenant que douceur, caresse de respect. Joseph descend le corps qui s’abandonne entre ses bras. Il l’enveloppe dans un linceul, le dépose à l’intérieur du tombeau tout neuf, qui attend son hôte dans le jardin tout proche.
Jésus a été arraché aux mains de ses meurtriers. Désormais, dans la mort, il se retrouve entre celles de la tendresse et de la compassion.
La violence des hommes homicides a reflué très loin. La douceur a fait retour au lieu du supplice.
Douceur de Dieu et de ceux qui lui appartiennent, ces cœurs doux auxquels Jésus promit un jour qu’ils posséderaient la terre. Douceur originelle de la création et de l’homme à l’image de Dieu. Douceur du terme, quand toute larme sera séchée, tandis que le loup habitera avec l’agneau, parce que la connaissance de Dieu aura rejoint toute chair (cf. Is 11, 6.9).

Chant à Marie

Ô Marie, ne pleure plus : ton fils, notre Seigneur, s’endort dans la paix. Et son Père, dans la gloire, ouvre les portes de la vie !
Ô Marie, réjouis-toi : Jésus ressuscité a vaincu la mort !

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

14ème station : Jésus dans le tombeau et les femmes

De l’Évangile selon Luc
Cependant les femmes qui étaient venues avec Jésus de Galilée avaient suivi Joseph ; elles regardèrent le tombeau et comment son corps avait été mis. Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et durant le Sabbat, elles se tinrent en repos, selon le précepte (23,55-56).

Méditation

Les femmes s’en sont retournées. Celui qu’elles avaient accompagné, marcheuses endurantes et secourables sur les routes de Galilée, celui-là n’est plus. Il ne leur laisse pour compagnie, ce soir, que la vision qu’elles emportent de son tombeau et du linceul où il repose maintenant. Pauvre et précieux souvenir de jours fervents anéantis. Solitude et silence. D’ailleurs, le Sabbat approche, qui convie Israël à chômer, comme Dieu chôma, quand la création fut achevée, accomplie sous sa bénédiction.
C’est d’un autre achèvement qu’il s’agit aujourd’hui. Pour l’heure caché et impénétrable. Elles préparent les parfums et les aromates dont elles feront leur dernier hommage à son corps, demain, au petit jour.
Mais s’apprêtent-elles seulement, par ce geste, à embaumer leur espérance ?
Et si Dieu avait préparé une réponse à leur sollicitude qu’elles ne peuvent deviner, imaginer, pressentir même… La découverte d’un tombeau vide…, l’annonce qu’il n’est plus ici, parce qu’il a brisé les portes de la mort…

Prière

Seigneur notre Dieu, daigne voir et bénir tous les gestes des femmes qui honorent dans notre monde la fragilité des corps qu’elles entourent de douceur et d’honneur.
Et nous, qui t’avons accompagné sur ce chemin de l’amour jusqu’au bout, daigne nous garder, avec les femmes de l’Évangile, dans la prière et dans l’attente que nous savons exaucées par la résurrection de Jésus, que ton Église s’apprête à célébrer dans l’exultation de la nuit pascale. 

Nous t’adorons, Ô Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Sainte Croix.

À demain !

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